NICOLAS DE CUES

NICOLAS DE CUES
NICOLAS DE CUES

Initiateur, par-delà ses sources platoniciennes et médiévales, de nouveaux modes de penser, philosophe et aussi savant ouvert aux mathématiques, à la mécanique, à l’astronomie, prédicateur, écrivain, homme d’action remarqué par ses interventions conciliaires et ses missions diplomatiques, le cardinal Nicolas de Cues, le théologien de la Docte Ignorance , apparaît comme l’un des grands penseurs du XVe siècle.

Renonçant à la méthode scolastique d’exposition, il pratique l’art du dialogue et cherche des conciliations par dépassement des oppositions. Attentif aux découvertes de son temps (particulièrement à l’imprimerie), il demande aux princes de rassembler expériences et observations pour favoriser le progrès matériel et spirituel. Conscient de l’étendue de la Terre et de la variété des civilisations, il rêve à des moyens d’unification et de coopération qui rompent avec l’ethnocentrisme latin.

Plusieurs de ses suggestions sont passablement utopiques; d’autres, en revanche, semblent de vraies anticipations. Le rôle qu’il accorde à l’homme, défini comme un «second dieu» et au travail actif de l’intellect, l’usage d’une dialectique qui fait place au négatif, et annonce parfois la méthode hégélienne, l’importance qu’il attache au temps et à l’histoire permettent de voir en Nicolas de Cues un esprit déjà très «moderne», beaucoup moins empêtré de magie et d’astrologie que ses successeurs de la « Renaissance ». Mais, si Lefèvre d’Étaples fut son éditeur, si Giordano Bruno lui emprunte des formules et des images (et développe plus hardiment ses intuitions infinitistes), il n’a pas créé d’école et son œuvre n’a guère été lue, même par les romantiques allemands. C’est Ernst Cassirer qui devait le remettre à sa vraie place, en son siècle certainement la première.

De «La Docte Ignorance» à «La Paix de la foi»

Né à Cues, sur la Moselle, entre Trèves et Coblence, Nicolas Krebs (ou Chrippfs), fils de bourgeois aisés, probablement élève des frères de la Vie commune, étudie le droit, la philosophie et les mathématiques à Heidelberg, à Padoue et à Cologne. Avocat, puis prêtre, admis au Concile de Bâle pour y défendre la cause de son protecteur Ulric de Manderscheid, il y présente un projet de réforme du calendrier, et, surtout, un traité sur La Concordance catholique (1433), dans lequel il propose, pour l’Empire et pour l’Église, une restructuration établie sur la représentation élective et sur le consensus. Rappelant que l’évêque de Rome, président du collège apostolique, n’est patriarche que d’Occident, il ouvre ainsi la voie à des négociations avec les Églises d’Orient. Rallié à la cause du pape, il se trouve à Constantinople, en 1437, parmi les délégués latins qui doivent conduire en Italie les théologiens grecs au concile d’union de Florence. Sur le bateau qui le ramène en Italie, ayant reçu, dit-il, une sorte d’illumination intellectuelle, il conçoit sa méthode de la «coïncidence des opposés», fondée sur un dépassement de la logique aristotélicienne. On en trouve l’ébauche dans ses sermons de 1437, et le premier exposé systématique dans La Docte Ignorance ; l’ouvrage sera suivi des Conjectures (1441), d’un commentaire en allemand du Pater (1442), de plusieurs opuscules mystico-philosophiques sur Le Dieu caché (1444), La Quête de Dieu , La Filiation divine (1445), L’Annonciation (1446) et, en 1447, d’un Dialogue sur la Genèse qui s’attaque au problème fondamental de l’Un et du multiple.

Créé cardinal en 1448, il écrit l’année suivante une Apologie de la Docte Ignorance où il se défend contre l’accusation de panthéisme et marque en même temps sa parenté avec Maître Eckhart. Ses quatre dialogues de 1450, réunis sous le titre général d’Idiota , opposent à la culture livresque et scolaire la libre recherche du «profane» qui apprend à lire dans le grand «livre de la nature». Désigné par le pape Nicolas V pour une légation itinérante de deux ans à travers l’Allemagne, la Bohême et les Pays-Bas, il prêche la réforme des mœurs, favorise l’instruction populaire et combat hardiment les superstitions. Confronté au problème hussite, il adopte des positions conciliatrices en essayant de définir une unité dogmatique et disciplinaire qui laisse place à la variété des rites et à l’autonomie des communautés nationales.

Évêque de Brixen (Bressanone, dans le Tyrol méridional) à partir de 1452, il se heurte dans son diocèse à de vives résistances, bientôt soutenues par Sigismond, comte du Tyrol, qui veut annexer le territoire contigu au siège épiscopal. Le conflit s’envenimera assez pour qu’en 1457 Nicolas de Cues doive lutter par les armes et se réfugier dans une forteresse. Jamais, cependant, il n’oublie sa vocation d’écrivain. Sa correspondance de 1453 avec les moines de Tegernsee lui donne occasion de préciser son attitude à l’égard de la théologie négative. La même année, outre un traité sur La Vision de Dieu où il présente un très curieux «perspectivisme», il compose son dialogue le plus hardi, La Paix de la foi , confrontation imaginaire des diverses religions et ébauche d’un christianisme «philosophique» capable d’unir toutes les croyances et d’assurer de la sorte la réconciliation des peuples. Pour apprécier toute la valeur de ce texte préleibnizien, et qui sera réédité au XVIIIe siècle, il faut se souvenir qu’il fut écrit l’année même où les Turcs s’emparaient de Constantinople. Simultanément, Nicolas développe les esquisses mathématiques que contenait La Docte Ignorance . Après les Compléments théologiques de 1453, il rédige des Compléments mathématiques et plusieurs études sur La Quadrature du cercle qui appartiennent à la préhistoire du calcul infinitésimal. Le Béryl (1458) précise le sens de ses critiques contre la notion aristotélicienne de «privation», à laquelle il oppose celle de «lien».

Une révolution cosmologique

En 1458, `neas Sylvius Piccolomini, ami de Nicolas de Cues, est élu pape sous le nom de Pie II. Désormais le cardinal, tout en continuant sa lutte contre Sigismond, va résider surtout à Rome où il reçoit les fonctions de vicaire au temporel; chargé de combattre les inondations, il prépare un plan d’assèchement des marais Pontins. Devant la menace turque, il ébauche une négociation politique avec Louis XI, mais, fidèle à son idéal irénique, il croit important d’examiner le Coran avec plus de sympathie qu’aucun de ses prédécesseurs latins. Dans la Cribratio Alchorani (1461), reconnaissant au prophète arabe le mérite d’avoir adapté aux rudes populations du désert une vérité en elle-même inaccessible, il souligne le rôle que Mohammad accorde à Jésus, et s’efforce, après Raymond Lulle, de présenter la Trinité et l’Incarnation comme des exigences philosophiques implicitement contenues dans la révélation islamique. Il complète son œuvre par L’Être-Pouvoir (1460), réflexion sur la synthèse de l’acte et de la puissance, Le Non-Autre (1462), La Chasse de la sagesse , Le Jeu de boule , charmant dialogue de forme platonicienne qui contient quelques anticipations d’une nouvelle mécanique, le Résumé et La Cime de contemplation (1462-1463), auxquels s’ajoutent de nombreux sermons, une abondante correspondance et quelques notes sur des problèmes d’astronomie.

Avant sa mort, il avait fait lui-même les plans d’un hospice à construire près de sa maison natale; les voûtes de la chapelle y unissent la dyade platonicienne, le quaternaire pythagoricien et la Trinité chrétienne. La bibliothèque de cet établissement – encore en activité grâce aux vignes léguées par le cardinal – conserve la plus grande partie de ses instruments de travail. Dans l’éloge funèbre que fait de lui l’un de ses secrétaires italiens, il est dit que le Cusain avait lu tous les livres des Anciens, ceux des Modernes, et aussi les ouvrages de la «période intermédiaire». Ce texte de 1469 est sans doute le premier où apparaisse la notion de «Moyen Âge».

Si son latin peu cicéronien, sa dépendance de sources chartraines et lulliennes le lient encore à des traditions médiévales, Nicolas annonce souvent une manière nouvelle de sentir et de penser; bien que son platonisme soit principalement celui de Proclus, il devine l’importance du texte du Ménon où un jeune esclave retrouve de lui-même la solution d’un problème géométrique. Mais, surtout, La Docte Ignorance opère une véritable révolution cosmologique en renonçant à la coupure radicale entre le supra-lunaire et le sub-lunaire, en appliquant à la «machine du monde» l’image de la sphère infinie dont le centre est partout, la circonférence nulle part, en affirmant qu’un observateur, en quelque lieu qu’il fût situé, se croirait immobile au centre de l’univers. Vision purement théorique, mais qui, en un sens, comme le verra Bruno, est plus révolutionnaire que le simple «renversement» copernicien.

Encyclopédie Universelle. 2012.

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